Notre démarche a quelque chose de généalogique : nous essaierons de comprendre de quoi la situation actuelle est le reste, ce travail autour de l’archive doit nous permettre de participer à écrire des fragments de l’histoire des vaincus, une de nos tâches sera de les rendre utiles au présent.
À ce stade du projet, il n’est pas prévu que le fonds soit consultable librement, par chacun. On pourrait s’en étonner, d’autant que ce qui nous importe particulièrement, c’est une certaine perméabilité à du dehors, c’est que les matériaux des archives sortent de la poussière et de l’obscurité. Pourquoi cette limitation ? D’abord parce que cela suppose des moyens dont nous ne disposons pas et ensuite parce que le simple accès libre aux archives, comme cela se fait en général, ne fait que donner l’impression de faciliter l’accès au fonds : en allant consulter des archives ainsi, on a peu de chance de découvrir quelque chose, on ne trouve, au mieux, que ce que l’on cherche. Ce qui nous importe avec les documents ce n’est ni de les mettre à disposition, ni de permettre leur simple diffusion, ce que ferait un infokiosque, mais de les mettre en commun, c’est à dire d’organiser la possibilité qu’il soient pris dans une circulation commune. D’autre part, c’est pour le comprendre et en faire quelque chose qu’on lit un texte et pas simplement pour en déchiffrer le contenu. Nous considérons que c’est à plusieurs sous une forme collective, voir à nombreux sous une forme publique, que cela peut se faire.
Remuer le passé, lui demander des réponses et des explications n’est pas une opération anodine, recueillir des documents, s’en faire les dépositaires c’est aussi contracter une dette, c’est s’engager à essayer d’être à la hauteur des événements, victoires et défaites, joies, espoirs et désillusions qu’ils peuvent contenir. Ce n’est pas une responsabilité que l’on peut endosser seul. C’est aussi pour éviter les écueils d’un regard inapproprié sur cette histoire que la forme collective nous semble le mieux répondre à ce rôle, c’est comme une sorte de garantie contre les analyses vaines, pour trouver de la bienveillance, de l’intelligence et de la perspicacité.
Mais le passé est muet. Face à lui, pour éviter le soliloque, nouer le dialogue au présent, dégeler ces paroles qui nous parviennent comme prises dans la glace, il faut être plusieurs. D’autres part, pour lui redonner vie, nous avons besoin de formes collectives capables de recevoir ses traces, aussi parce que pour la plupart elles sont le reste d’une élaboration collective. En somme nous souhaitons inventer des formes de travail. Ça pourrait être : appeler largement à venir lire et réfléchir ensemble sur une partie des archives qui serait à cette occasion déplacée dans un lieu public, élaborer une réédition avec des vrais morceaux de présent dedans, à partir de matériaux issus du fonds préparer une discussion, la transcrire puis la diffuser, enquêter en partant de documents pour mieux comprendre une situation de lutte, bref, créer l’occasion d’articuler du travail collectif et du travail public, à ciel ouvert.
Plus encore, c’est aussi le travail d’archivage lui même auquel nous voudrions donner une dimension collective et parfois publique. Il faudra en trouver les modalités : que ceux qui veulent travailler sur une question précise puissent participer à la collecte en ouvrant le champs qui les intéresse, ou que nous organisions des séances ouverte d’élaboration du catalogue, enfin que par moment le processus même des archives se trouve visible et accessible. De ce fait, dans leur fond comme dans leur forme, les archives seront en perpétuelle constitution.
C’est donc la même dynamique qui présidera au travail sur le contenu des archives et à l’existence et l’organisation du fonds, le fait des archives. Par exemple c’est parce qu’on a besoin d’utiliser donc de trouver, retrouver, des documents que l’on va faire le catalogue et qu’on va le faire de cette manière là. Si ça fonctionne on ne verra pas s’opposer archivage et recherche, collecte et consultation.
Le passé recèle des reflets d’avenir ; il s’agit de trouver la forme collective la mieux à même de les découvrir, de les recueillir et de les projeter, en direction de ce futur qu’ils peuvent préfigurer.