Quelques pistes de travail

Énoncer des projets que les archives rendent possible. Certains sont en route, d’autres seront certainement mis en place, mais plus tard, d’autres encore sont des idées en l’air que chacun peut attraper. Bien d’autres possibilités s’ouvrent sans doute. De tout cela, c’est le jour de l’inauguration des archives qu’il commencera à être question.

Comprendre vraiment la notion de défense militante en relisant les textes autour des boutiques de droit, De la stratégie judiciaire de Vergès. Apprendre à connaître les formes d’organisation concrètes, comme le Comité d’Action des Prisonniers, le Comité d’Action Prison-Justice, les Assises de la Défense Libre, qui ont permis à la fois la défense des militants mais aussi la diffusion pour tout un chacun de méthodes et de techniques pour se défendre efficacement face à la justice. Lire aussi le Petit Manuel de l’arrêté et d’autres guides. Trouver peut être quelque chose à en faire aujourd’hui.

Construire autour des groupes de recherches, de quoi alimenter la pensée, donner à voir des choses en dehors des documents des archives, pour aider à articuler, comparer, réfléchir. Organiser des cycles de projections, comme un ciné-club thématique en lien avec l’objet de chaque séance, par exemple sur l’école ce pourrait être des films sur l’enfance. Passer par l’image, projeter des films, des tracts.

Commencer concrètement la mise en notices et la classification des documents, pour amorcer le catalogage, et comme une première rencontre avec le fonds. Lancer la première d’une série de séance de ce type, dont certaines seraient publiques, pour cataloguer progressivement les archives. Les documents sont la matière du travail à mener, matière déjà présente, matière future qu’on collectera et éventuellement celle qui sera produite au cours de nos recherches. Échafauder les méthodes pour chercher, trouver, classer et reclasser les documents, comprendre comment font les autres archives et définir comment nous procèderons selon nos propres nécessités, entre cotes, thésaurus, et rayonnages. Penser les catégories, celles qui présideront à l’indexation, donc pour cataloguer, mais aussi dans un rapport plus général au langage, pour penser la mémoire et l’histoire, être capable de lire et d’analyser le discours même dans une certaine position d’extériorité, avec une certaine honnêteté. Cartographier le fonds, les directions possibles de la collecte, le discours à partir duquel nous travaillerons.

Mettre en voix des textes. Dire du livre, commencer peut-être par Paroles de bandits sur la question du refus du travail, des dialogues, des tracts, des parties de brochures.

Envisager un chantier, sur l’autonomie années 70 / 80, qui permettrait d’y voir plus clair dans ses composantes, ses tensions, son développement, comprendre ses articulations, ses manières d’énoncer, de s’organiser, les pratiques qui l’ont traversée et qu’elle a ouverte. Ce serait démythifier un certain nombre de choses, et peut être faire que cette histoire soit nôtre. Qu’elle soit appropriable.

Travailler sur les mouvements lycéens depuis les années 60. Ces mouvements vivants, intenses et éphémères, sont sans doutes plutôt du côté de la spontanéité de l’instant que dans la construction de quelque chose de pérenne. Chercher à vérifier, comme le propose la conclusion du texte du n°3 des Révoltes Logiques sur la grève des écoliers en Angleterre en 1911, si « un groupe social transitoire est incapable de capitaliser ses expériences et ses luttes ». Se demander quelles traces cette force d’irruption laisse pourtant, qui permet la constitution d’une histoire du mouvement lycéen et la transmission de formes d’organisation (par exemple les CAL).

Élaborer des textes, selon le style et ou l’esthétique d’un groupe ou mouvement politique.

Rechercher, aujourd’hui et avant, les formulations du refus du travail dans les pratiques quotidiennes, concrètes, du prolétariat diffus.

Retracer l’histoire de l’intervention de ceux qui ont des papiers dans les luttes de sans-papiers et plus largement dans les luttes de l’immigration.

Lire à plusieurs quelque chose, collectivement, varier les modalités de lecture : se fixer un passage à lire à la maison pour en parler en séance ou qu’un ou plusieurs, tour à tour ou à la fois, lisent à haute voix, ou même simplement lire à la même table et parler ensuite. Prendre connaissance de ces textes, les faire travailler avec ce qui nous habite, jusqu’à éventuellement les rééditer. Commencer par la revue Camarades,  : la lire selon les formes énoncées plus haut. Chercher autour, par exemple en allant voir ceux qui y ont participé, en faire quelque chose aujourd’hui. Plutôt que l’alourdir par préface/introduction/notes, la rééditer en 2 volets : Camarades, par Camarades, en fac-similé et Camarades, par ses interprètes. Lire une revue comme celle-là plutôt que de la théorie, fut-elle hétérodoxe, c’est vouloir réinsuffler dans le présent un peu de chair, de prises avec des situations, de positionnements concrets, de compréhensions circonstanciées, en un mot, de pensée tactique.

Trouver ce qui dans hier donnait corps au désir de révolution, comment cela semblait possible, souhaitable, évident, inévitable même, qu’elle surgisse. Faire l’hypothèse que ce n’était pas de l’ordre de la foi, mais quelque chose de plus intéressant. Aujourd’hui, même quand on tient à la révolution, qu’on aimerait vraiment bien être révolutionnaire, on ne voit plus comment elle pourrait commencer. Retrouver ce fil-là.

Réunir des usagers ou des acteurs du système scolaire situés à des places variées (enseignants, mais aussi Assistants de Vie Scolaire par exemple, assistants d’éducations, élèves évidemment si possible, etc.). Les inviter à faire des récits de leurs expériences concrètes en suivant l’exemple des monographies du mouvement Freinet ou de la pédagogie institutionnelle. Utiliser ces récits, comme des auto-enquêtes pour analyser où et comment ça nous pose problème et trouver peut être des énoncés et des pratiques subversives.

Suivre les traces produites par des formes d’organisation qui n’ont pas la vocation à être permanentes (comités de grève, collectifs de lutte, groupes territorialisés…), et qui émergent pour intervenir dans une situation de conflictualité sociale. Comprendre ce que veut dire pour ces groupes s’organiser, saisir au plus près des pratiques internes du collectif, concrètement, comment cela fonctionne : comment se prennent les décisions, comment elles sont rendues effectives, quels sont les moyens de subsistance du collectif, qu’est-ce qu’il se donne les moyens de produire, quelles sont les modalités des réunions et dans quels genre de lieux prennent-elles place (rapport de ces lieux à la lutte et/ou au mouvement afférent), quelles sont les conditions de participation au collectif, c’est à dire comment se formalise ou se décide le fait d’en faire partie, quels sont les rapports aux milieux politiques dans lesquels il évolue et dont il est issu, comment compose-t-il avec du dehors et quel souci a-t-il de construire un rapport à du public. Tirer le fil de cette continuité des formes d’organisation non continues. Comprendre comment quelque chose qui n’organise pas sa pérennité, se perpétue dans sa forme.

Enquêter autour d’un événement singulier dans le cadre d’un mouvement ou d’une lutte, chercher les traces qu’il a pu laisser. Par exemple la marche sur Vincennes qui a prolongé la manifestation qui faisait suite à l’expulsion de l’occupation de St Bernard en 1996.

Collecter des films, ou même des images brutes, pour pouvoir les remettre en circulation et sauvegarder ce qui doit l’être. Grâce à cela, réfléchir aussi à ce que c’est qu’intervenir par l’image, au moment de son enregistrement, de sa captation, et dans les processus de fabrication et de diffusion. S’attacher à collecter la production variée qui a entouré ces objets : textes, analyses, présentations, proposés par les groupes qui fabriquaient et distribuaient ces films et ce cinéma. S’atteler à arpenter les contours de cette galaxie si vaste, et pour ce faire, au moins dans un premier temps, prendre comme boussole et point de départ la somme réalisé par Guy Hennebelle, le numéro de la revue Cinéma d’aujourd’hui 5/6 de mars-avril 1976 sur le cinéma militant. Et ainsi avancer quelques pistes de réflexion quant à l’intérêt de produire, dans le cadre des archives, des objets, en son ou en images, que cela soit pour enregistrer, inscrire quelque chose, faire vivre autrement, ou même pour diffuser, voire pour construire une autre couche d’archive.

Rééditer des tracts en grand format et les coller sur les murs, l’histoire n’est pas muette mais des fois on a besoin qu’elle bégaie un peu.

Chercher si il y a eu des tentatives d’architecture non policière, ou mieux, subversives, est-ce que la lutte a investi ces champs-là, ceux du rapport à l’espace, aux lieux. Une architecture subversive donc, pensée pour déployer des possibles, être détournée, propice à l’insurrection. Se mettre sur la piste de penser les lieux collectifs, publics ou communs selon un rapport construit, comment les agencer pour qu’ils s’ouvrent à de la découverte, du dépassement. Envisager le rapport à des lieux institutionnels, au sens de la pédagogie institutionnelle ou de la psychothérapie institutionnelle, à des institutions possibles, les archives même peut-être. Pour cela partir de la lecture de la revue Place, ou alors chercher du côté de ce qui se racontait, dans une période plus faste, à l’Unité pédagogique d’architecture n°6 (UP 6).