Sur les traces des collectifs perdus…

Recueillir, archiver, penser les traces des collectifs,
luttes et mouvements passés

S’il semble important de réfléchir autour des traces laissées par les collectifs, les luttes ou les mouvements passés, sur la pertinence d’aller les chercher, sur ce qu’on peut trouver, sur ce qu’on aimerait pouvoir collecter, c’est parce que cette question nous semble permettre à la fois de commencer le travail et de poser d’emblée des enjeux essentiels au projet lui-même puisqu’il ne s’agit pas d’autre chose que de collecter et d’archiver des traces de moments d’intensité particulière de la conflictualité sociale, et de faire travailler ces traces pour les ramener à un présent auxquelles elles seraient tendanciellement indispensables.

Qu’entend-on par traces et pourquoi avoir choisi de désigner ainsi le matériau des archives ? De la « trace écrite » à l’empreinte, ce terme nous paraît pouvoir renvoyer non pas strictement à ce qui est laissé mais plutôt à ce qui peut être recueilli, tout en gardant ouverte la question de la nature des fruits de la cueillette. On peut ainsi aller des traces les plus visibles et simples à retrouver (les livres ou autres publications diffusées) à des traces plus éphémères comme les tracts ou les brochures, jusqu’à des traces ténues et fragiles qui n’impriment le plus souvent que les murs ou la mémoire collective comme les slogans par exemple. On peut penser aussi à des productions plus rares comme des films ou même des objets divers qui feraient trace de tel ou tel moment ou de telle ou telle position dans le cadre d’un mouvement. Quelle qu’elle soit, la trace est ce qui, à un moment donné, inscrit quelque chose quelque part et peut ensuite en témoigner. Deux manières d’inscrire peuvent être différenciées : il y a des traces faites pour inscrire, pour faire trace en quelque sorte, et d’autres qui le deviennent plutôt par hasard. Il y a aussi toutes celles qu’on perd : par définition la trace est le reste de quelque chose dont beaucoup n’est plus là. La trace est ce qui signifie, ou plutôt ce qu’on fait signifier. On pourrait aussi, comme le propose la préface du numéro de la revue Recherche qui concerne l’expérience de la Rue des Caves à Sèvres, différencier deux niveaux d’inscription, le premier dans la réalité, on pourrait dire en contexte, le deuxième en archive. De notre côté nous postulons plutôt l’existence d’un continuum, tout document comporterait une part d’actuel et une autre d’archive potentielle. On peut même postuler que la ligne de ce continuum peut être discontinue, voire s’inverser, c’est-à-dire qu’un document peut être repris dans un devenir qui en restitue l’actualité en dépit de l’éloignement temporel.

Ce qu’on espère de cette réflexion, c’est d’abord d’expérimenter un travail sur les documents, c’est-à-dire d’être confronté à la constitution de corpus restreints qu’on commencerait à exploiter, et de voir ce que des séances publiques autour de ces documents pourraient produire. On pourra ainsi commencer à se familiariser avec le fonds, chercher ce qu’il contient, réfléchir au catalogue et à la manière dont il va être établi en fonction de l’usage qui en sera fait. On commencerait aussi à compléter le fonds en fonction du travail en cours, d’enquêter sur des traces moins matérielles, mais aussi de constituer l’espace pour qu’un présent s’en empare. C’est aussi un moyen de poser des enjeux fondamentaux qui président à l’existence même des archives et du projet dans lequel elles prennent place : travailler sur ce fonds ce sera forcément déconstruire et reconstruire du mythe, taper dans le ventre creux de l’Histoire pour en sonder les résonances, et, en prenant ainsi connaissance de cette histoire, participer à l’écrire. Nous proposons de mettre en lumière, et de questionner dès le départ ce qui sera notre matériau quotidien de recherche au fil du projet GETAWAY.